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L'Ode Triomphale

de Fernando Pessoa

 

 

Mise en scène
Philippe Gouttes


avec
Bruno Jouhet
Rosi Andrade
Marie Lopès

 

 

 

Dossier complet en pdf

 

 

 

 

 

La Machine ou l'énigme moderne

 

Fernando Pessoa, sous la plume de son hétéronyme Alvaro de Campos, écrit L’Ode Triomphale en 1916. Il est alors fortement inspiré par le Manifeste du Futurisme de l’italien Marinetti, une esthétique de la vitesse, du bruit, de la puissance qui a pour totem la civilisation urbaine et la machine. Le poème de Pessoa est une apologie des temps futurs, déjà contenu dans le passé, conjugué au présent. Un éloge de la mécanique, de l’énergie, de la vapeur, de l’électricité, signes prophétiques d’un âge moderne et d’un homme nouveau et démiurge.


Cependant, en contrepoint, en pleine guerre mondiale, à l’aube de la Révolution russe, Pessoa-de Campos n’ignore rien des bouleversements politiques et sociaux qui s’annoncent, des cataclysmes, des épidémies, des massacres. Saisi par le doute, il interroge le progrès industriel, technologique. L’Homme est-il maître de la Machine ou sera-til dévoré par elle ?


En ce XXIe siècle, les machines, les progrès scientifiques ou leurs applications ont pu déséquilibré jusqu’au climat de la planète, irradier ou détruire des villes, des régions entières. On tend désormais à créer un être expansé, affublé de multiples prothèses, prolongements de nos sens, de notre relation à l’autre ( satellites, téléphone portable, internet et les réseaux sociaux,...), de notre rapport même au vivant (modification du génôme, organes artificiels, nanotechnologies...).


Une mutation radicale comparable à celle de l’époque où Pessoa écrit l’Ode Triomphale et qui fait revenir - sans doute avec plus d’acuité - la question de notre humanité : l’Homme sera-t-il l’esclave de sa création technologique ? La Machine est-elle sa Fin ou son Triomphe ?

 

 

La Machine à jouer

 

Tuyaux, échaffaudages, bobines, objets métalliques en tout genre : la Machine est physiquement présente sur la scène. Construite et déconstruite par les acteurs, utilisée comme instrument, habitée par le son de leur voix, elle prend vie, elle prend corps sous l’oeil du spectateur. Mais en devenant
enveloppe, costume, en transformant elle même les corps et leur espace sonore, elle manipule autant qu’elle est manipulée.


Par mimétisme, les acteurs insistent sur des rythmes, des articulations, des scansions, bégaient, hoquêtent entre langue française et portugaise, jouent sur les fréquences entre stridences et ronflement des graves. Sur des aphorismes d’Alvaro de Campos choisis comme points d’appuis, le texte migre et circule d’un acteur à l’autre. Ainsi, les mots, les vers, la voix défragmentent les sensations pour mieux les recomposer en mécanique musicale.


Acteurs, objets et espace scénique ne font qu’un en réalité. La Machine est celle du spectacle. La voix unique et intime du poème qui relie les corps multiples de l’auteur, des interprètes et du spectateur.

 

 

Pessoa-Alvaro de Campos

 

La vie de Pessoa est à la fois simple et complexe, entremêlée et indissociable de ses fameux hétéronymes. Lui, le pâle employé de maison de commerce à la vie monotone et obscure. Le solitaire, le voyageur immobile, l’exilé de lui-même. Et Eux, pures fictions, plus vivantes que la vie, plus réelles que le bois de la table sur laquelle l’auteur écrivait, que le papier — rangé dans une malle de voyage — où s’alignait sans ratures les mots de ses voix intérieures…


Né à Lisbonne en 1888, il y est mort en 1935. Ayant vécu une partie de son enfance en Afrique du Sud, il revient en 1905 et ne quittera plus le Portugal.
La statue qui le représente figé à jamais à une table de café au coeur du vieux Lisbonne dit-elle que le présent, le passé et le futur ne sont que le Moment ? À quelques pas de là, le port et l’estuaire du Tage ouvrent Lisbonne aux vents du large : vers l’au-delà d’un autre océan…


Son hétéronyme : « Alvaro de Campos, fils des mers, des ports et des grandes capitales de l’Occident à son crépuscule, a l’allure d’un avant-gardiste des première années du siècle ; il y fait preuve d’une muflerie géniale et névrotique ; avec un esprit turbulent et mystificateur comme le sien, Pessoa, Caeiro et Soares seraient morts de honte. Il tourne son regard vers l’Indéfini du voyage : et dans l’Indéfini il découvre le visage terrible de l’Infini. Alors que Caeiro exaltait la concentration, Alvaro de Campos n’est qu’expansion, dilatation illimitée, jusqu’à ce que ses poumons deviennent aussi vastes que l’univers. La nature, pour lui, est un seul flux, une seule vitalité, un seul tout […]. Le poète se fond et se perd dans les choses, il les embrasse toutes, il déchaine sa propre furie imaginative, il exulte, il déborde, il se dissipe dans la nuit, il se multiplie en cent figures diverses, il boit “la vie d’un trait“, il étreint les arbres et les fleurs, il s’abreuve aux mers, pareil à Faust. Mais il ne peut se fondre dans l’Un-Tout que s’il offense et est offensé, que s’il viole et est violé ; et il se dissout dans la dispersion unanime de la mort. »


Pietro Citati, L’Infini de Fernando Pessoa, in Europe n° 710-711, juin-juillet 1988, p. 14-27 ).

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